Monsieur le Président, Cher Yves Blein,
Chers membres du conseil d’administration,
Chers salariés de Léo Lagrange,
Chers Présidents d’associations affiliées,
Chers Bénévoles, volontaires, adhérents…
Je m’arrête là, car la liste des personnes à saluer et à remercier pour leurs actions dans le cadre de cette grande organisation qu’est Léo Lagrange occuperait la totalité du temps qui m’est alloué, et bien plus encore. L’accomplissement de la mission que s’est donnée la fédération Léo Lagrange depuis sa création n’est possible que grâce à la force du collectif qui l’anime.
Tous, vous vous êtes engagés pour porter avec force une vision qui s’est incarnée au fil des ans dans des actions et des réalisations concrètes qui honorent la mémoire des précurseurs.
Léo Lagrange, le premier, voulait rendre sa dignité au paysan, à l’ouvrier, au chômeur. Pour cela il s’est appuyé sur un temps de vie qui n’était pas considéré comme tel, voir même qui n’existait pas ; le temps libre. En 36, en dégageant ce temps libre grâce à des mesures sociales, s’est engagée une lutte qui perdure encore aujourd’hui : donner à tous les moyens de vivre pleinement leur citoyenneté. A l’époque, peut-être encore aujourd’hui, certains craignaient que ce temps libre n’engrange de la paresse. Bien au contraire, cette liberté favorise la construction des individus. Elle est le terreau des valeurs qui sont promues par la fédération.
Pierre Mauroy, à qui je rends hommage aujourd’hui avec beaucoup d’émotion, a continué ce travail en fondant Léo. Quand je vous vois, vous qui représentez un des plus grands réseaux d’éducation populaire en France avec plus de 60 000 adhérents, 3000 bénévoles et volontaires, 7000 salariés, 800 000 usagers, un réseau de plus de 300 associations affiliées… je ne peux qu’imaginer sa fierté dans son olympe socialiste. En laissant la fédération à Bernard Derosier qui fête ses 80 ans aujourd’hui, il savait qu’elle était entre de bonnes mains. Je salue également celui qui t’a précédé Yves, Bruno Le Roux. Et ainsi, jusqu’à aujourd’hui, vous avez continuez à vous développer pour couvrir tous les âges de la vie, en vous exportant même en dehors de nos frontières. Présent dans toutes les régions, mobilisant toutes les générations, toutes les catégories sociales, toutes les origines.
Mais Léo Lagrange est bien plus qu’une histoire commune, c’est aussi un avenir. Et cet avenir doit s’ancrer dans le respect des valeurs de la fédération. Ces valeurs fondatrices peuvent se résumer en deux mots : Éducation populaire. Certains pourraient juger le concept vieilli, « ringard ». Ou, pire, le garder telle une coquille vide en lui donnant une nouvelle définition. Plus en phase avec la société, l’actualité…
Pensée en réaction aux dérives de la révolution industrielle, l’éducation populaire ne serait plus une méthode pertinente alors que nous vivons aujourd’hui une nouvelle révolution, technologique celle-là. Quelle erreur manifeste !
L’ambition de la fédération est affichée. Elle l’écrit noir sur blanc et souhaite, par ses actions, « développer l’esprit critique, le goût pour la vie en société, le sens des responsabilités, la convivialité et surtout, l’intérêt pour les autres ».
En ce 10 novembre où se prépare une manifestation Parisienne synonyme de fracturation de la société, plus que jamais le prosélytisme de l’empathie et de l’altérité est l’antidote de l’intolérance.
Cette vision de l’engagement vous l’assumez du début jusqu’à la fin. De la petite enfance aux seniors, vous leur permettez de partir en vacances, de s’épanouir dans des loisirs, d’exprimer leur citoyenneté. Pleinement acteur du développement des individus, vous formez bénévoles et jeunes et parfois permettez à certain d’accéder à un emploi en votre sein.
Pour mener à bien ces ambitions, il nous faut, collectivement, défendre des principes qui sont de plus en plus mis à mal aujourd’hui. Je commencerai par en évoquer un, au cœur de mon engagement politique et associatif ; la justice sociale.
La société́ française est traversée de lignes de failles profondes. Au premier plan on constate des fractures sociales qui résultent notamment d’un poids des prélèvements obligatoires inégalement réparti ou encore d’une baisse de qualité et d’efficacité des services public. Ces éléments participent au creusement des inégalités entre riches et pauvres. Cela est renforcé par les fractures dans l’emploi avec une persistance du chômage de masse ou la mise en avant de forts contrastes géographiques existant au regard du sous-emploi. La crise sociale et politique que nous venons de vivre durant l’année écoulée en est une illustration probante.
Et il vous faut avoir une sacrée force de résilience à vouloir incarner la lutte contre les inégalités sociales à travers l’Éducation Populaire quand on sait que les choix qui ont été fait par l’exécutif et sa majorité permettent aux cent contribuables les plus fortunés de notre pays de récupérer, en moyenne, avec la suppression de l’ISF, 1,2 million d’euros de pouvoir d’achat. En comparaison des 1,2 millions de nos concitoyens au chômage, dont les plus vulnérables vont tomber dans la trappe à pauvreté du nouveau système d’assurance chômage… cherchez l’erreur !
Par son action émancipatrice, par ses implications dans l’économie sociale et solidaire, notre fédération agit. Elle permet de faire vivre l’idée qu’un autre modèle est possible. Elle s’inscrit en faux avec l’idée qu’il n’y aurait pas d’alternative à un néo libéralisme carnassier, destructeur des politiques sociales. Je ne crois pas à la théorie du premier de cordée. Ce que nous prônons ici c’est la force du groupe et sa mixité. Sociale, culturelle… Toute la cordée doit être impliquée pour atteindre le sommet. Cela n’est pas toujours évident. Il faut aider certains, former d’autres, pour qu’ils transmettent les valeurs de la République au plus grand nombre.
Le rêve rendu possible par Léo Lagrange ce n’est pas celui d’être milliardaire en traversant la rue, c’est vrai. Le rêve rendu possible par les salariés, les bénévoles, c’est que tous, nous pouvons devenir des citoyens à part entière qui seront insérés dans la société tant sur un plan économique que politique. Votre sacerdoce est de faire en sorte que chaque individu puisse penser le monde de façon indépendante tout en étant acteur de ce monde.
Cela, vous le faites sur tous les territoires, notamment dans les quartiers politiques de la ville et dans les zones dites périphériques. Vous y êtes des partenaires incontournables des politiques de rénovation urbaine menées par l’État. C’est grâce à votre action que nous luttons contre la désespérance dans les quartiers. Là, il n’y a pas d’ancien monde ou de nouveau monde. Il s’agit seulement de créer les conditions d’un monde juste, sans quartier perdu pour la République.
Dans ce cadre, je regrette la fin définitive de la semaine des 4,5 jours qui, certes, n’étaient pas populaire, mais permettaient de bâtir un projet éducatif bénéfique pour les enfants avec des emplois qualifiés et pérennes pour les encadrants.
C’est avec ces valeurs là que nous devons construire l’avenir et abolir les frontières mentales qui empêchent une partie de nos concitoyens de s’engager dans un projet commun.
En entrant dans le conseil d’éthique de la fédération j’espère contribuer à ce que cette vision perdure.
Les politiques doivent aider à cela. Ils doivent participer, grâce à la mise en place de politiques publiques, à favoriser un modèle français de l’engagement.
16 millions de bénévoles font vivre cette démocratie au quotidien, c’est une richesse exceptionnelle pour la France. Ce sont ces français qui nous obligent nous, responsables politiques, à être à leur hauteur pour que tout soit fait en faveur de ce don de soi.
Lors du précédent quinquennat de nombreux chantiers ont été menés sur ce thème structurant de la vie des territoires : définition légale de la subvention, choc de simplification avec la dématérialisation des démarches, mise en place du congé d’engagement porté par la Loi Égalité Citoyenneté, déploiement du Compte Engagement Citoyen, du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires (CITS), Charte des Engagements Réciproques…
Mesures peu médiatiques certes, mais ô combien importantes pour les bénévoles sur le terrain.
Malheureusement, la suppression d’un grand nombre de contrats aidés a multiplié les structures en péril. Combien ne peuvent plus embaucher ? Combien de personnes sont privées d’une réinsertion sociale par le biais d’un emploi dans une association ?
Le secteur associatif, les réseaux de l’éducation populaire, les clubs sportifs, en renfort du service public, de l’école notamment, doivent être soutenus pour irriguer l’ensemble des territoires et apporter, par leur présence, un cadre et des repères aux enfants, aux adolescents et plus globalement tout au long de la vie.
Ainsi, c’est dès le plus jeune âge que l’incitation à l’engagement citoyen doit être une priorité. La République a besoin de contenu et de réalité. Il faut dire plus clairement quelle République nous voulons, ce que nous entendons par égalité. Et cela doit se traduire concrètement, en amenant les nouvelles générations à s’impliquer.
Pour cela, François Hollande, élu Président de la République, s’était engagé à atteindre les 100 000 volontaires en Service Civique d’ici la fin de son mandat. Nous avons finalement dépassé cela avec, en 2017, 125 000 jeunes qui ont réalisé une mission de service civique, dans une des 10 000 structures d’accueil partenaires, publiques et associatives. Il faut continuer à développer et surtout à démocratiser le service civique en lien avec vos associations, dans le cadre d’un parcours de citoyenneté.
Cette idée d’un parcours de citoyenneté a été patiemment construit entre 2012 et 2017. Et tout a été fait pour que les réseaux d’éducation populaire y prennent toute leur place. Aujourd’hui, l’absence d’horizons clairs me fait craindre des perturbations néfastes pour l’engagement des jeunes.
Ce n’est pas le lieu pour entrer dans la polémique. Je rappellerai seulement, en me tenant aux côtés de nombreux acteurs qui portent cette voix, que l’engagement est un choix, il puise son sens dans la liberté de choisir. Si tout doit être fait dans le but d’inciter nos concitoyens à donner aux autres, le caractère obligatoire d’un engagement qu’il concerne les jeunes ou tout autre catégorie de la population ne me semble pas être la bonne solution… y compris budgétaire. Quand l’universel ne fait que cacher l’obligatoire, je m’inquiète.
Un lieu commun circule : les jeunes seraient désintéressés des affaires de la cité, ils seraient repliés sur eux-mêmes, à l’écart de la vie collective. Une nation qui n’a pas confiance en sa jeunesse est une nation qui n’a pas confiance en son avenir. Nous devons retrouver fierté́ et optimisme, et cela passe entre autres par le fait de laisser toute sa place à la jeunesse.
Nous devons donner à chaque jeune la possibilité́ de vivre pleinement sa citoyenneté́, de faire entendre sa voix selon les modalités qu’il aura choisies. Nous devons continuer à explorer des pistes pour encourager et valoriser l’engagement des jeunes.
Il ne s’agit pas d’exiger davantage des jeunes que de leurs aînés. Les jeunes n’ont pas de « preuves à donner » de leur attachement à la communauté́ nationale. Il s’agit au contraire de montrer que les jeunes font totalement partie de cette communauté́ et qu’à ce titre, ils ont leur mot à dire sur son destin. La seule obligation que je connais, c’est la nôtre envers les générations futures.
C’est ce que la fédération fait à longueur d’année. Ses valeurs doivent être une boussole pour trouver des solutions pérennes. L’éducation populaire se réinvente en permanence, irriguée par le terrain, les expérimentations. On ne doit pas la faire changer de cap, de paradigme, sous prétexte d’efficacité.
En interrogeant le concept d’engagement libre, c’est la participation à la société qui est mis en débat et, par extension, la démocratie.
L’esprit critique que vous faite émerger grâce aux méthodes d’éducation populaire est une des composantes essentielles de la démocratie. S’il n’y a pas de critique, il n’y a pas de démocratie. Une société démocratique a besoin de lieux, de moyens, pour exercer sa raison critique. En concourant au développement de l’esprit critique du plus grand nombre vous irriguez la démocratie et donnez du sens à la République.
Par ce biais vous armez nos concitoyens face à l’accélération de l’actualité, aux réseaux sociaux où tout se vaut, surtout si le « buzz » est au rendez-vous.
Face à l’urgence environnementale, à la montée des extrêmes, votre mission d’éducation et de formation tout au long de la vie est plus que jamais nécessaire. Lutter contre la désespérance démocratique ne se fera pas sans le concours de tous.
Enfin, dans les valeurs fondatrices de la fédération il y aussi la laïcité. Cette laïcité qui protège, et qui garantit la liberté de tous. Récemment certains l’ont accusé d’être un ferment de division. C’est se tromper d’adversaire.
Une république laïque, démocratique et éclairée s’appuyant sur les principes de raison, de tolérance et de neutralité doit respecter les croyances. Toutes les croyances Les pompiers pyromanes doivent se garder des déclarations hâtives et les principes républicains doivent prévaloir. C’est l’ambition de l’éducation populaire que d’être à la fois un rempart contre l’obscurantisme et de permettre à tous d’être intégrés dans la république, peu-importe sa religion. Mais aucune loi religieuse ne peut l’emporter sur les lois de la République.
Face aux nouveaux défis qui s’ouvrent devant nous, nous devons construire l’avenir avec ces principes. C’est ce message de progrès qui doit être propagé dans toutes les strates de la société. Par votre action, vous semez les graines d’une France plus ouverte, plus solidaire. Vous donnez la place qu’ils méritent à certains de nos concitoyens qui ont perdu tout espoir de l’occuper.
Je vous laisse enfin méditer cette phrase de Léo Lagrange pleine de modernité : « Il ne peut s’agir, dans un pays démocratique, de caporaliser les distractions et les plaisirs des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée, en moyen de ne pas penser ». Cette phrase est à 180 degrés des fameux « Panem et Circenses ».
La fédération nationale Léo Lagrange est née pour favoriser la pensée critique et donc la liberté. Soyez fiers de votre héritage ! Soyez fiers de votre avenir !
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