J’ai souhaité réagir après la diffusion du reportage « la rue des allocs » car j’ai considéré que le traitement qui était fait de la pauvreté posait plusieurs problèmes moraux. La question n’a jamais été de montrer ou de ne pas montrer, mais de savoir ce que l’on montre, comment on le montre et pourquoi on le montre.
Premier problème : le titre du reportage.
Le terme « allocs », péjoratif, renvoie immédiatement à l’idée d’assistanat. Tout est suggéré au long du reportage pour laisser penser que les personnes « ne font pas ce qu’il faut » pour sortir de la pauvreté, et donc que, quelque part, elles méritent leur sort. Cette idée est insupportable. La pauvreté est toujours subie, jamais choisie. Et regarder de l’extérieur, dans le confort de son canapé, et sans plus d’explications, une personne acheter à boire ne permet pas de comprendre la complexité des situations et des comportements.
L’alcool, justement. Il est omniprésent. S’il peut faire partie de la vie de personnes plus ou moins désocialisées, il est malhonnête d’en faire le « carburant » de la pauvreté. Toutes les personnes pauvres ne passent pas leurs journées à boire, même dans les Hauts de France !
Ce titre a manifestement pour visée d’attiser les crispations sociales autour du versement des aides, en remettant en cause leur légitimité. Non seulement celles-ci sont justes et nécessaires, mais souvent elles se combinent avec des revenus du travail, soit en même temps, soit en alternance, selon les changements de situation professionnelle des personnes. Dans le quartier ciblé par le reportage, qui est un quartier prioritaire de la politique de la ville, 72% des revenus des habitants proviennent de leurs salaires et seulement 18% de prestations sociales, or ce quartier est présenté comme ne vivant que des allocations.
Deuxième problème : l’insinuation selon laquelle la fraude est généralisée.
En 2015, les Caisses d’allocations familiales ont versé des prestations (RSA, allocations familiales, Aide au logement, Allocation aux adultes handicapés, prime d’activité…) à 11,8 millions d’allocataires. La fraude a concerné 0,33% de la population des bénéficiaires… On est loin de la tricherie à tous les étages ! Par ailleurs, rappelons que cette même année 2015, la fraude fiscale représentait 3, 42 milliards d’euros, soit cinq fois plus que la fraude sociale. Au sein même de cette seconde catégorie, la moitié est due aux fraudes aux cotisations or la responsabilité des employeurs n’est jamais évoquée.
Troisième problème : les sentences martiales de la « voix off ».
Sous couvert d’objectivité, les commentaires en voix off sont souvent violents et biaisés. Ils traduisent une forme de « condescendance tranquille ». Quelques exemples parmi de trop nombreux autres :
- « C’est jour de fête, c’est jour des allocs. » Alors qu’il s’agit de l’anniversaire de l’un d’eux… et considérer le versement des allocs comme une fête est très choquant.
- « Le quartier attend les allocs. »
- « Il y en a un dans le quartier qui ne boit pas d’alcool. »
Le reportage est à charge, les personnes pauvres en sont les accusés.
Quatrième problème : des institutions jamais montrées.
En occultant totalement les institutions (CAF, pôle emploi, centre communal d’action social, services départementaux, etc.), le reportage commet une double faute : insinuer que les personnes démunies sont systématiquement livrées à elles-mêmes et désincarner les fameuses « allocs » pour renforcer leur illégitimité. Il aurait été utile de montrer les interactions entre les personnes pauvres et la myriade d’acteurs institutionnels (et associatifs) qui les aident pour comprendre ce qu’il y a d’humain dans toutes ces relations, pour entendre la justification de l’institution au versement des aides, pour recueillir des moments de désarroi, pour témoigner du parcours du combattant qu’il faut parfois traverser pour accéder aux « allocs ».
Une partie importante de la réalité d’une personne pauvre, c’est d’être en face de la puissance publique, représentée à différents niveaux par des travailleurs sociaux, des agents administratifs, des conseillers pôle emploi, etc. Parce que la puissance publique ne reste pas les bras croisés face à la misère, à aucun niveau, ni national, ni local. Pour ne parler que de l’Etat, en 2013 a été adopté un plan pauvreté qui permet la redistribution de 2,6 milliards d’euros supplémentaires chaque année à 2,7 millions de ménages en difficulté (soit environ 1 000 euros en moyenne par an et par ménage d’ici fin 2017). En plus de tout ce qui était déjà fait. Quelques mesures de ce plan :
- + 10 % sur 5 ans pour le revenu de solidarité active
- + 25 % sur 5 ans pour l’Allocation de soutien familial
- + 50 % sur 5 ans pour le Complément Familial majoré
- Généralisation du tiers payant
Pour mon seul périmètre ministériel, l’accès à la prime d’activité aux jeunes âgés de moins de 25 ans, l’universalisation de la garantie jeunes, la garantie locative pour tous les jeunes ou encore l’accès facilité à la CMU-C des jeunes de moins de 25 ans en rupture familiale, sont précisément des outils de lutte contre la pauvreté. Tout comme la politique la politique de la ville, dont l’objet même est d’aider les quartiers présentant les plus hauts taux de pauvreté !
Bien sûr la pauvreté est toujours là, bien présente, violente pour ceux qui la subissent. Mais l’intervention des pouvoirs publics est indispensable et elle produit des résultats comme en témoignent la baisse du taux de pauvreté et la baisse des inégalités en 2015.
Pour conclure, je dirai que ce reportage a enlevé de la dignité aux personnes pauvres. En les faisant passer pour des « assistés », en tenant des propos condescendants à leur égard, il participe à une forme de stigmatisation en fonction de la condition sociale qui est insupportable.
C’est pourquoi j’ai souhaité m’exprimer et appuyer la demande de la FNARS auprès du CSA pour arrêter la diffusion de ce reportage.
Comment
merci, pour votre courage ! vous etes une belle personnes et vous donnez envie de se battre ! bon courage….