Après trente-trois mois au ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Patrick Kanner rentre «à 100% dans le Nord» pour conduire la liste socialiste aux sénatoriales. Retour sur une expérience qui lui a donné la notoriété qui lui manquait à son arrivée dans la capitale.
Un dernier conseil des ministres, cela se passe comment ?
« Un conseil des ministres un peu particulier, bien sûr. Le premier ministre a fait une communication sur le bilan du quinquennat et le président a conclu sur le thème « un jour nous serons reconnus et soyez fiers du travail accompli ». Il a précisé que c’est un socle sur lequel doit s’appuyer la future majorité. Spontanément, on s’est tous levés pour l’applaudir longuement, une première. Et puis il nous a tous salués ou embrassés un à un. »
C’était un président proche de ses ministres ?
« Oui, très attentif à chacun. Mais le président n’est pas un confident. Je ne l’ai jamais embêté avec des choses qui n’étaient pas de sa responsabilité. A chaque fois que j’ai eu besoin de lui, il a été là. »
En 33 mois, vous n’avez jamais eu de désaccords de fond avec lui ?
« Un seul, sur la déchéance de nationalité, même si à la fin j’étais plutôt convaincu au regard du contexte et de l’ampleur du dossier. Mais cela n’a pas été le meilleur moment de ma vie ministérielle. Je n’ai pas eu d’autres désaccord avec lui, y compris sur la loi travail que je considère être une avancée importante qui sera reconnue comme telle, j’en suis certain. »
Quand vous avez accepté d’être ministre fin août 2014, vous avez entendu des critiques sévères à Lille… Aucun regret ?
« Aucun ! Pour moi ce n’était même pas un rêve puisqu’à la différence d’autres je n’y pensais pas ! C’était un choix naturel. Quand on vous appelle pour servir votre pays et vos concitoyens, c’est une forme d’aboutissement, même si revenir aujourd’hui à 100 % dans le Nord et pour les nordistes est une très grande satisfaction. Je n’ai jamais oublié le Nord dans mes fonctions de ministre. Sur mes cinq cents déplacements, j’ai dû en faire un tiers dans le Nord- Pas de Calais, et quoi de plus normal ? C’est une grande région avec de nombreux dossiers sur mon périmètre. »
La ville, la jeunesse, les sports, est-ce un périmètre cohérent ?
« J’ai essayé de le rendre cohérent, mais c’est vrai qu’il n’y a pas de liens évidents entre organiser l’Euro 2016 et la rénovation urbaine, par exemple. J’ai coutume de dire que c’est le ministère de la pâte humaine, de la cohésion. Mais comme ancien président du département du Nord, je jonglais déjà beaucoup entre des dossiers bien différents !»
La cohabitation avec les secrétaires d’Etat n’a pas été difficile ?
« Il n’y a jamais eu de couac ! Même si il y a eu parfois des moments d’échanges un peu «francs». On a trouvé une répartition des rôles notamment sur le dossier des JO de 2024, avec Thierry Braillard.»
Quel moment a été le plus fort pour vous ?
« Le moment le plus grave, c’est bien sûr le conseil des ministres convoqué à minuit à l’Elysée le soir des attentats du 13 novembre. Je suis arrivé dans la foulée du stade de France, d’autres collègues, dans l’urgence, sont arrivés dans des tenues « inhabituelles » en ce lieu. Un autre moment fort, c’est quand j’ai parlé au nom de la France au conseil de sécurité de l’ONU sur la prévention de la radicalisation chez les jeunes ; et aussi la réception des chefs d’Etat le 11 janvier 2015 à l’Elysée. Voir Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahu dans la même pièce, c’est rare. Je n’oublie pas les moments festifs, la finale de l’euro 2016 après avoir passé un mois de stress absolu et de polémiques sur les fans zones. Certains prédisaient le pire, vu le contexte. On a tenu avec le soutien des maires et je veux rendre hommage à Alain Juppé qui présidait les villes hôtes. Mais en politique, rien n’est jamais acquis. Au conseil des ministres le 12 juillet, on pense qu’on a réussi l’euro sur le plan de la sécurité, qu’on va pouvoir lever l’état d’urgence et puis il y a la terrible soirée sur la promenade des Anglais…»
Vous avez porté le projet de loi Egalité- citoyenneté. Pourquoi pas la loi Kanner ?
« Je n’ai pas voulu accoler mon nom à cette loi, au grand dam de certains de mes collaborateurs, parce que les mots égalité et citoyenneté valent bien plus que mon patronyme !»
En même temps vous avez comblé votre déficit de notoriété ! Les commentaires entendus au début sur le «ministre inconnu» vous ont blessé ?
« C’est vrai qu’en janvier 2015, un homme politique que je ne nommerai pas a dit qu’il ne connaissait pas le nom du ministre de la ville ! Je me suis dit avec mes collaborateurs que pour exister politiquement, il fallait renforcer ma stratégie de communication. J’ai pris conscience que quand on n’est pas parisien, quand on n’a pas eu un parcours national auparavant, c’est dur d’exister dans ce milieu. Il y a toujours un peu de condescendance vis-à-vis des «provinciaux»… Aujourd’hui les Français me connaissent davantage, surtout comme ministre des sports.»
Et les jeunes ?
« Aujourd’hui 500 000 jeunes touchent la prime d’activité au lieu de moins de 8 000 qui touchaient le RSA jeunes activité. C’est un gain de pouvoir d’achat de 10% pour ceux qui gagnent moins de 1 500 euros. Quand j’ai demandé à des jeunes bénéficiaires s’ils savaient qui l’avait instaurée, ils m’ont répondu la CAF ! On n’a pas assez imprimé dans l’opinion l’origine des mesures prises ces cinq dernières années.»
Votre première mesure en tant que ministre, vous vous en souvenez ?
« Le passage de 20 à 5,5% de la TVA pour l’accession sociale à la propriété dans les 1 500 quartiers prioritaires. Une mesure concrète pour plus de mixité sociale dans ces quartiers. Je l’ai annoncée aux journalistes à Poitiers fin août 2014, sur la route de l’université d’été du PS à La Rochelle.»
Et votre dernière mesure ?
« Je viens de signer le décret pour le financement du permis de conduire pour les jeunes sur leur compte de formation prévu dans la loi Egalité et citoyenneté. Mon dernier grand dossier, c’est le lancement de la fondation « la France s’engage » que va présider François Hollande. Je lui avais suggéré cette idée lors de notre déplacement à Rio !»
Vous allez continuer à suivre la candidature aux JO de 2024 ?
« Je suis très heureux que la première réception officielle d’Emmanuel Macron ce week-end soit pour la délégation du CIO qui vient évaluer notre candidature. Je souhaite qu’en plus des épreuves prévues au stade Pierre-Mauroy, le Nord soit une base arrière de ces JO avec nos équipements à une heure de Paris.»
Vous revenez donc dans le Nord pour les sénatoriales en septembre. Vous n’avez pas songé à la retraite politique au nom du renouvellement ?
« Des choix ont été faits et on a pensé que je serai plus utile pour tirer la liste soutenue par les socialistes, et plus largement, en septembre 2017. C’est cohérent. Je pense, sans fausse modestie, être un des élus les plus connus, et de ceux qui connaissent le mieux le territoire. Depuis 1998, année où j’ai été nommé vice-président du conseil général, j’ai effectué plusieurs tours du monde, en nombre de kilomètres, dans le Nord ! Et j’ai continué à le faire comme ministre, quand mon agenda me le permettait. J’aime ça ! Rencontrer des élus et des citoyens. J’ai besoin d’être au contact dans la proximité, par tempérament mais aussi par besoin, pour mon équilibre personnel. Je ne serai pas sénateur de Lille mais sénateur du Nord, si les grands électeurs me font cet honneur.»
Avec un regard sur quels dossiers prioritaires à vos yeux ?
« Je veux suivre le dossier du canal Seine Nord Europe que j’ai porté. S’il n’y avait pas eu une décision à l’époque des quatre présidents de conseils généraux, dont je faisais partie,de contribuer au financement du canal, ce qui n’était pas du tout dans nos compétences, on n’en serait pas là aujourd’hui.»
Vous allez suivre aussi le plan pour le Bassin minier ?
« Pour moi il est clair que le rempart contre l’implantation du Front national dans le bassin minier, c’est le développement économique social et culturel, l’espoir et la fierté retrouvés du bassin minier. Les mesures annoncées par Bernard Cazeneuve sont de vraies réponses : en matière de logement, d’équipements, y compris sportifs. J’ai souvent réuni dans ce ministère des élus locaux sur ce plan parce que j’estime que c’était mon rôle de ministre de booster les dossiers concernant la région. Pour la rénovation urbaine, il s’agit d’une opération de plusieurs centaines de millions d’euros pour 17 quartiers d’intérêt national et 23 d’intérêt régional, c’est-à-dire au moins 300 000 habitants !»
Après le Sénat, pensez-vous au beffroi de Lille en 2020 ?
« Ce n’est pas le sujet du moment. Je vous concède que beaucoup m’en parlent ! Cela signifie que je n’ai pas été oublié avec mes quatre mandats d’adjoint au maire. Un passage ministériel c’est important. Tous les maires de Lille que j’ai cotoyés depuis Augustin Laurent ont été ministres. J’analyse aussi les résultats électoraux. Ceux du premier tour m’interpellent : Jean Luc Mélenchon a obtenu près de 30% et Benoît Hamon a fait un score médiocre par rapport au soutien apporté par Martine Aubry. Beaucoup d’électeurs socialistes ont voté Macron et pas pour le candidat du maire. Ce n’est pas neutre. Elle s’est beaucoup engagée pour Hamon et a eu des mots qu’on peut considérer comme violents pour Emmanuel Macron qui est maintenant le premier personnage de l’Etat.»
Allez-vous participer à la campagne des législatives compliquées pour le PS ?
« Je serai disponible pour les candidats aux législatives qui souhaiteront m’avoir à leur côté et qui diront quand même un peu de bien du bilan ! Il est clair que j’aurai des difficultés à accompagner des candidats qui considèrent qu’Emmanuel Macron est un adversaire politique comme l’a dit Benoît Hamon ! Pour un socialiste réformateur et social-démocrate, participer directement ou en soutien à la réussite du quinquennat est nécessaire. Moi, je suis socialiste et je souhaite vraiment la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron.»
Leave A Reply