La crise des gilets jaunes et la mise à l’écart des partis politiques et des syndicats marquent de manière forte le quinquennat du Président Macron. Mais au-delà de ces événements proprement dits, notre communauté politique s’en trouve durablement impactée.
Ce qui est le plus dommageable pour notre démocratie, c’est l’affirmation que la politique n’est plus une affaire d’opinion, de vision du monde, mais surtout une adaptation au monde ayant pour étendard une soi-disant modernité dont on ne peut pas discuter les objectifs.
Ce qui est regrettable c’est la querelle permanente entre les anciens et les modernes, cette fausse bataille d’Hernani qui masque le vrai débat démocratique pour une société moins précaire.
Ce nouveau monde tant vanté par le pouvoir, ce progressisme est en réalité la capacité plus ou moins grande à s’adapter aux méfaits d’un capitalisme tout puissant en pratiquant « la politique du chien crevé au fil de l’eau ». Cette politique est marquée par une soumission : se laisser ballotter par le mouvement mondial de fuite en avant de peur d’être décroché sans se soucier des conséquences sociales. Pour les tenants de ce monde, il n’y pas d’autre politique, il faut s’adapter et le pays doit suivre.
Plus encore, le Président de la République s’est évertué à décrire la modernité du monde comme si l’Etat était un opérateur comme les autres et que, sous l’effet TINA (There is no alternative) cher à Margaret Thatcher, il n’était simplement que le garant de critères de rentabilité financière mondiale. Cette confusion entre efficacité réelle et politique avec un bilan financier équilibré (loin d’être réalisé d’ailleurs) est sciemment entretenue, réduisant nos marges de manœuvre politiques.
Ce nouveau monde qu’on nous propose, n’admet aucune remise en cause. Pire encore il n’est pas si nouveau que cela : il continue d’aliéner l’homme. Le nouveau monde des inégalités de plus en plus grandes et des précarités sociale, culturelle et économique structurent de plus en plus nos sociétés. Comme le dit Gramsci, nous sommes dans ce clair-obscur où le « vieux monde se meurt et le nouveau tarde à venir », et c’est à « ce moment où surgissent les monstres ». A coup sûr, On y va !
Dans cet entre-deux, la crise des gilets jaunes vient opportunément nous rappeler qu’il n’y pas de paix sociale sans justice sociale. Mais l’élite mondialisée, dénonçant un ennemi intérieur, ce populisme amalgamant ces gilets jaunes et le Rassemblement National, construit notre communauté politique sur une dialectique binaire : ami/ennemi, chère à Carl Schmitt.
L’impossible démocratie politique qui en résulte est largement attestée par le grand débat organisé (d’ailleurs, sous la pression populaire). Il fut d’abord l’occasion d’une formidable communication du pouvoir central, savamment relayée par les médias continus. Il a laissé de côté des pans entiers de revendications populaires, toutes allant dans le sens de la réduction de la précarité en développant une nouvelle forme de solidarité. Par tous ces sujets : Hausse du SMIC, égalité face au service public, justice sociale et fiscale, impôt sur la fortune, RIC… les participants au grand débat ont mis en avant les limites démocratiques de ce grand débat.
Aucun objectif mobilisateur et unificateur n’a été mis en avant, l’Etat, devenu un simple opérateur dans le système mondialisé, s’est vu retirer la capacité à influer sur une Union européenne devenue de plus en plus technocratique. Le réformisme annoncé s’est progressivement mu en transformisme, un jeu de bonneteau, consistant à changer seulement les hommes et les femmes en aggravant les pratiques de réseaux fermés.
L’histoire nous montre que la vie en société n’est pas seulement un calcul d’utilité et les citoyens ne sont pas seulement des particules contractantes. Durant ce débat, le Président a voulu installer un peu plus l’idée qu’il avait la gestion d’une entreprise sur un grand marché global avec seulement comme principe moteur l’adaptation au capitalisme mondialisé.
A la question : « Où faire des économies ? » du Président Macron, vantant les mérites d’un « new public management », réducteur de dépenses publiques, nous lui répondons « quelle société solidaire voulons-nous ? ».
Non le peuple n’est pas l’ennemi, c’est même le fondement de notre démocratie, celle de l’altérité et de la bienveillance. Le monde économique doit participer aussi à cette démocratie, à condition qu’il contribue au bon équilibre de notre société : payer justement des impôts là où il opère, obéir aux lois sociales et laisser l’Etat donner l’orientation politique.
Nous refusons d’entrer dans un monde où l’on nous présenterait comme une évidence la modernité de ce progressisme opposé au peuple. En revanche, nous pensons qu’il existe bien deux conceptions de la société : celle qui augmente le profit d’un petit nombre de plus en plus favorisé, entraînant notamment, sous l’étendard du néolibéralisme, le désastre climatique que nous connaissons ; et celle qui souhaite construire une société à la fois solidaire et démocratique dont le réveil des consciences alimente le juste développement, celui « du pouvoir de vivre ».
Patrick Kanner, Président du groupe socialiste et républicain du Sénat, sénateur du Nord.
Yves Zoberman, Historien, auteur d’Une Histoire du Chômage de l’Antiquité à nos jours, Perrin
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